Les capitales régionales ayant adopté des délibérations dites « anti-airbnb » se sont multipliées ces derniers mois, en se fondant sur l’article L.631-7 du Code de la construction (CCH), afin de réguler les locations meublées touristiques.
C’est ainsi que les villes de Bordeaux, Nice et Lyon notamment, se sont placées dans le sillage de celle de Paris afin d’instaurer des procédures spécifiques visant à contrôler les mises sur le marché de telles locations.
Cependant, par un arrêt du 15 novembre 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’union européenne (CJCE) d’une question préjudicielle afin de statuer sur la conformité de l’article L.631-7 du CCH précité avec les dispositions de la directive européenne 2006/123/CE dite « services ».
Le fond de la question posée à la CJCE est de savoir :
- Si la directive est applicable à l’activité de location meublée de courte durée ?
- Dans l’affirmative, si le régime de déclaration préalable de l’article L631-7 du CCH est constitutif d’un régime d’autorisation au sens de cette directive ?
- Dans l’affirmative, si ce régime d’autorisation répond à une raison impérieuse d’intérêt général ?
- Dans l’affirmative, si ce régime d’autorisation est proportionné à l’objectif poursuivi ?
- Dans l’affirmative, enfin, si les critères retenus pour l’octroi de l’autorisation préalable satisfont aux conditions notamment de clarté, objectivité, publicité, transparence et accessibilité requis par ladite directive ?
Si la question semble de prime abord complexe, la réponse qu’apportera la CJUE sera vraisemblablement nuancée dès lors que ce régime d’autorisation préalable ne restreint pas l’activité elle-même mais seulement les cas où elle est réalisée hors la résidence principale du loueur ainsi que davantage détaillé infra.
Notons d’ailleurs que la question soumise à la CJUE ne se limite potentiellement pas aux seuls meublés touristiques dans la mesure où les dispositions de l’article L631-7 du CCH visent tous les cas de changement d’usage de locaux destinés à l’habitation : leur éventuelle censure pourrait donc entraîner la suppression de toute autorisation préalable à la création de surfaces tertiaires ou commerciales au sein de tels locaux, ce qui devrait donc inciter le juge européen à la plus grande prudence et ce d’autant plus que sa décision sera invocable, outre en France, au sein de l’ensemble des Etats membres.
Quelles sont précisément les locations concernées par ces procédures spécifiques ?
Ces procédures spécifiques, applicables de plein droit dans les villes de plus de 200.000 habitants ainsi que celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, consistent à ce que les changements d’usage de locaux destinés à l’habitation soient soumis à une autorisation préalable de la municipalité [1].
L’usage d’un local est une notion factuelle consistant à apprécier ce à quoi il est utilisé (habitation, bureau, commerce, hôtel, etc.), et il y a donc changement d’usage chaque fois que cette utilisation varie (installation d’un bureau dans un appartement, transformation d’une caserne en hôtel, etc.).
En matière de location meublée de courte durée, la loi est venue préciser que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage » [2].
Ainsi, proposer en location meublée de courte durée un local à usage d’habitation constitue juridiquement un changement d’usage devant faire l’objet d’une autorisation préalable de la municipalité. A défaut, la mise en location meublée de courte durée est tout simplement interdite et passible de lourdes sanctions (Cf. infra).
L’exception notable à ce principe réside dans les termes de l’article L631-7-1 A du même code selon lesquels « Lorsque le local à usage d’habitation constitue la résidence principale du loueur, (…) l’autorisation de changement d’usage prévue à l’article L631-7 du présent code (…) n’est pas nécessaire pour le louer pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », étant précisé que cette notion de résidence principale s’entend « comme le logement occupé au moins huit mois par an » [3].
Le champ d’application de cette exception est donc extrêmement précis puisqu’il implique, d’une part, que le logement loué soit en fait la résidence principale du loueur et, d’autre part, que le nombre total de locations consenties n’excède pas 120 jours dans l’année.
A défaut, cette exception ne sera donc pas ou plus applicable et le loueur sera dans la situation où il n’aura pas respecté le principe d’interdiction de changement d’usage sauf autorisation préalable, et encourra donc les sanctions prévues.
Comment obtenir l’autorisation préalable requise par ces règlementations « anti-airbnb » ?
Dans les faits, les communes concernées ont majoritairement adopté des règlements précisant les procédures à respecter pour obtenir cette autorisation préalable au changement d’usage.
Or, à leur lecture, toutes y ont prévu que cette autorisation sera subordonnée à une obligation de compensation, laquelle consiste à ce qu’un autre local -n’étant pas à usage d’habitation et situé dans un périmètre restreint (chaque ville ayant adopté ses propres zonages avec ses propres contraintes d’éligibilité) – soit concomitamment transformé à cet usage.
Cette notion de « compensation » se comprend en ce qu’elle consiste à limiter l’érosion du parc d’habitation sur le territoire de la ville concernée.
Hormis les cas où les propriétaires concernés procèderaient eux-mêmes à une telle transformation sur un autre de leurs biens, il n’existe qu’une solution pour satisfaire à cette obligation : acheter des droits de commercialité auprès d’autres propriétaires réalisant de telles transformations.
Comment se concrétisent les cessions de « droits de commercialité » ?
Dans un premier temps il est primordial pour l’aspirant loueur de trouver un vendeur dont le local présente des caractéristiques cohérentes par-rapport à son logement, afin de ne pas surpayer ces droits (ce qui sera notamment le cas si le local est significativement plus grand que le logement devant être compensé, ou bien est situé au sein d’une zone plus contraignante que le logement devant être compensé).
Notons que la ville de Paris précise sur son propre site (sous le dépliant « Compensation : quelles sont les démarches ? » de la FAQ) ce qui suit : « Cette dépense (NB : l’achat de droits de commercialité) est-elle proportionnée ? En dehors de la nécessaire protection du logement qui nécessite de reconstituer une surface au moins identique (ordonnance de 2005 et article L 631-7 CCH) en cas de suppression de logement, la dépense apparaît économiquement justifiée : rentabilité entre 1,6 et 2 fois plus qu’en location nue (Etude APUR 2011), et un investissement rapidement remboursé : pour un studio de 20 m² coût de 20K€ qui pourrait être remboursé en moins de 8 mois (avec recette de 1.000 € / semaine et taux d’occupation à 60%) ».
Par la suite, une fois le vendeur ciblé et le prix de cession arrêté, celle-ci peut être réalisée par acte sous seing privé. Pour autant, il sera éminemment préférable qu’un praticien du droit (avocat ou notaire notamment) en soit le rédacteur afin d’en garantir l’efficacité et la sécurité à raison de l’absence de cadre juridique applicable. Ce n’est qu’une fois ce document établi que l’ensemble des démarches administratives pourront être initiées auprès de la municipalité concernée.
A défaut de respecter ces règles, quelles sont les sanctions encourues ?
Hors les cas où il s’agirait de la résidence principale du loueur, proposer son bien en location meublée de courte durée sans acquérir de droits de commercialité, et donc sans satisfaire à l’obligation de compensation, est passible des sanctions suivantes :
- Sanctions civiles (applicables dès lors que l’infraction est caractérisée : art. L651-2 du Code de la construction et de l’habitation) : amende d’un montant de 50.000 € par local irrégulièrement transformé et injonction de retour à un usage d’habitation sous astreinte (1.000 € / jour / m2 de locaux irrégulièrement transformés) ;
- Sanctions pénales (applicables uniquement en cas de fraude : art. L651-3 du Code de la construction et de l’habitation) : amende d’un montant de 80.000 € et un an d’emprisonnement.
Enfin, louer un logement en meublé de courte durée peut par ailleurs revenir à opérer un changement de destination qui, lorsqu’il n’est pas régulièrement déclaré, est sanctionné d’une amende de 300 000 € et, en cas de récidive, de six mois d’emprisonnement [4].
Quelles conséquences tirer de la question préjudicielle transmise à la CJUE dans ce contexte ?
A l’inverse de ce que certains commentateurs laissent entendre, la saisine de la CJUE ne signifie pas que l’article L.631-7 du CCH n’est plus applicable et, bien au contraire, les municipalités continuent à poursuivre les administrés qui ne respectent pas les obligations liées au changement d’usage du bien dont ils sont propriétaires.
S’il sera toujours possible de contester en justice les amendes infligées tout en sollicitant un sursis à statuer dans l’attente de la réponse de la CJUE, cette stratégie n’aboutirait en fait qu’à retarder l’échéance dans le cas où le juge européen conclurait à la conformité au droit de l’Union des dispositions déférées.
Ne pas se soumettre délibérément au régime d’autorisation préalable requis par l’article L631-7 du CCH en misant sur son hypothétique censure est donc un pari nécessairement risqué dont les potentielles conséquences doivent être non seulement comprises, mais aussi comparées aux contraintes que nécessite le respect des dispositions en vigueur, que le présent article à pour but de rappeler.
Quant au sort des propriétaires diligents qui, en cas de censure des dispositions de l’article L631-7 du CCH, auraient préalablement acquis des droits de commercialité pour y satisfaire, un recours indemnitaire serait théoriquement envisageable à l’encontre des municipalités ayant adopté les règlements prévoyant l’obligation de compensation à l’origine de leur préjudice, mais sans garantie de succès toutefois faute de précédent en la matière.
En conclusion, la mise en location de meublés de courte durée répond à une réglementation diffuse et complexe qui, lorsqu’elle n’est pas maîtrisée (et a fortiori lorsqu’elle n’est même pas connue), peut engendrer de lourdes sanctions. C’est ainsi que la pratique a développé la cession de droits de commercialité afin de pouvoir régulariser sa situation vis-à-vis de l’obligation de compensation.
L’actuelle contestation de ce régime ne doit pour autant pas occulter le fait qu’il demeure malgré tout applicable jusqu’à son éventuelle censure par la CJUE. Dans cette attente, il revient à chaque propriétaire concerné de prendre les mesures conservatoires qu’il jugerait utile à la préservation de ses intérêts (la réponse de la CJUE étant attendue d’ici quelques mois, il pourrait notamment être envisagé que le prix de cession du droit de commercialité soit séquestré dans l’attente de celle-ci).
Martin PEYRONNET – Avocat
Notes
[1] Cf articles L631-7 et suivants du Code de la construction et de l’habitation.
[2] Cf article L631-7 du Code de la construction et de l’habitation.
[3] Art. 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.
[4] Art. L480-4 du Code de l’urbanisme.
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Dernière mise à jour le 14 novembre 2024 par Martin Peyronnet